Offenbach dénaturé - Samedi 24 février 2007
Ce vendredi 23 février, un article paru dans Le Figaro m’interpelle. Il s’agit d’une interview recueillie par Jean-Louis Valdire auprès de Loic Boissier et Benjamin Levy, les principaux protagonistes de la troupe « Les Brigands » qui donne actuellement au Théâtre de l’Athénée une adaptation de la pièce éponyme d’Offenbach. A en croire des déclarations qui n’ont d’autres buts que de justifier les arrangements musicaux pratiqués sur la partition du père des Contes d’Hoffmann, « les matériels d’orchestre ont malheureusement disparus », « au théâtre des Bouffes Parisiens, il n’y avait pas quarante musiciens dans la fosse qui est microscopique »… Devant une pareille mystification, je suis en droit de me demander à quoi sert finalement le travail d’édition musicologique entrepris autour de l’œuvre d’Offenbach depuis bientôt dix ans ? A quoi sert mon combat de trente ans pour un « Offenbach authentique » ? Il suffit pourtant d’aller sur Internet pour constater qu’il existe une édition critique des Brigands, les matériels d’orchestre, ni même le manuscrit autographe n’ayant jamais disparu (ce dernier passait d’ailleurs en vente chez Sothebys il y a quelques années). Quant à la légende des fausses d’orchestres minuscules ne pouvant contenir que quelques musiciens, je pensais qu’elle a avait vécu. Il suffit de consulter une biographie sérieuse d’Offenbach pour savoir que les théâtres où furent crées ses pièces ont été particulièrement réorganisés depuis un siècle (privilégiant le confort du public au détriment de l’espace artistique), que la fosse des Bouffes-Parisiens (passage Choiseul) pouvait contenir une trentaine de musiciens, et celle des Variétés (où ont été créé Les Brigands), entre 30 et 40… Je me souviens du même genre de déclarations faite par Laurent Petitgirard il y a plus de 20 ans, au sujet de son orchestration nouvelle de La Vie parisienne représentée au Châtelet – il soutenait alors qu’Offenbach n’avait jamais orchestré sa partition... Le manuscrit autographe est pourtant bien localisé et une édition critique a été publiée depuis et jouée de par le monde. Mais que n’inventerait on pas pour justifier la nécessité d’un travail d’adaptation et les nombreux avantages qui peuvent en découler… Donc, si j’en crois les déclarations de nos deux «Brigands », je ne peux que constater, avec amertume, que les mentalités n’ont pas beaucoup évolué en un quart de siècle. Pourtant, j’ai l’impression qu’on vole le public en lui vendant des OGM (de l’Offenbach génétiquement modifié) au lieu de l’original. Malheureusement, peu s’en indignent. Pensez-vous qu'Offenbach mérite plus qu’un autre un tel traitement musical ?Applaudirait on avec autant d’enthousiasme à un Verdi ou un Wagner orchestralement dénaturé, et de surcroît pour 15 instruments ? Ce n’est pas la même chose, me répondront certains ! Ah bon ? Ce genre de ségrégations aussi, je pensais qu’elles n’avaient plus lieu d’être depuis la redécouverte de chefs d’œuvres comme Les Fées du Rhin ou Fantasio… Ce qui est d’autant plus regrettable, en ce qui concerne le spectacle de l’Athénée, c’est que cet opéra bouffe pourrait être joué dans son instrumentation originale avec seulement 18 musiciens (en diminuant l’effectif de cordes à un minimum indispensable). Le texte original serait sauvé et on pourrait ainsi apprécié à sa juste valeur le génie mozartien d’Offenbach. Ce ne doit pas être l’avis de Benjamin Levy, qui déclare en guise de conclusion : « C’est aussi une musique en friche. Il y a des partitions à redécouvrir qui ont été malmenées dans certaines interprétations » Effectivement, celle de la troupe des Brigands en est bien le dernier exemple en date… « On a l’impression qu’il faut se réapproprier ce répertoire pour lui rendre hommage ». Le plus bel hommage à lui rendre, c’est avant tout de le respecter en rendant justement à César, ou plutôt à Offenbach, ce qui lui appartient.