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Offenbach Livrets inédits

Présentation

Pendant trois ans, j'ai eu le privilège et le bonheur de travailler et classer les archives d'une des branches descendantes de la famille Offenbach. Outre les nombreux manuscrits autographes du maître que nous avons commencé à exploiter dans le cadre de l'Edition Offenbach chez Boosey & Hawkes, j'ai retrouvé aussi toute une série de livrets manuscrits destinés à être mis en musique par le compositeur. Certains n'ont encore jamais été publiés et sont inédits. C'est pourquoi j'ai souhaité les présenter ici afin de les rendre accessibles au public. Bonne lecture ! 

Jean-Christophe Keck

 

Merci à Javier Orenes Martinez pour son aide précieuse et amicale. 

Luc et Lucette (1854)

Luc et Lucette.

Opéra-comique en un acte

Livret de Pittaud de Forges et Eugène Roche

Musique de Jacques Offenbach

Créé à Paris Salle Herz, le 2 mai 1854

Livret déposé au Bureau de la Censure Parisienne.

PREMIERE PUBLICATION POSTHUME 

TOUS DROITS RESERVES

© Jean-Christophe Keck, 2021

Personnages :

Luc Gaillard

Lucette Verdoyant

 

Le théâtre représente une petite chambre garnie avec fenêtre donnant sur les toits. Une alcôve au fond, au milieu. La porte d’entrée, au 1er plan, à droite du spectateur. La cheminée est en regard. Contre la cheminée au 2e plan, deux patères. Une table de nuit sur laquelle est un petit coffre tout ouvert, à la tête du lit. Un fauteuil auprès de la cheminée ; un guéridon à la gauche du fauteuil ; un petit tabouret de pied contre la cheminée. Un petit meuble gothique à droite ; il est chargé de livres et de musique ; un violoncelle est à côté. Des gravures encadrées sont accrochées à la muraille. Contre la cheminée, une bassinoire. Une robe de chambre et un bonnet grec au porte-manteau ; des pantoufles par terre. Chaises de paille, guéridon, etc.

 

Scène 1ère.

 

Lucette (seule).

(Au lever du rideau, elle est en train d’écrire. Une bougie allumée est sur le petit guéridon.)

« Ma chère Marraine,

« Je suis arrivée à Paris en bonne santé. Sur votre lettre de recommandation, Mme Camuset, la maîtresse de « l’hôtel des diligences, m’a fort bien reçue ; mais toute sa maison était occupée … et si l’idée ne lui était pas « venue de me donner, pour cette nuit, la chambre d’une personne qui est en voyage, j’aurais été forcée d’aller « me loger ailleurs, ce qui m’eût d’autant plus contrariée que Mr. Athanase Jouvenet, mon prétendu, doit, « comme vous savez, venir me chercher ici, de très grand matin, pour m’emmener dans sa famille, à « Fontainebleau. Dans quelques jours, je vous ferai savoir comment j’y ai été reçue. Adieu, ma chère Marraine « etc.etc. Votre filleule pour la vie. Lucette Verdoyant. » (Elle plie sa lettre, la cachète et met l’adresse.) A Madame, «  Mme Bertrand, fermière à Gournay. » Cette bonne Marraine ! Si elle ne recevait pas promptement de mes nouvelles, elle serait dans l’inquiétude ! … ça la contrariait tant de me laisser venir seule à Paris … Heureusement que je suis en sûreté ici. (Allant pour pousser le verrou de la porte.) Tiens ! il n’y a pas de verrou ! … Ah ! Mme Camuset m’a enfermée à double tour … cela revient au même … (Regardant autour d’elle.) C’est que c’est très gentil, ici … Qui est-ce qui peut habiter cette chambre ? (Regardant des petites boîtes et des fioles sur la cheminée.) Pâte de Regnault, pâte de Nafé d’Arabie, pâte de mon deveau, pâte de limaçon. C’est un apothicaire. (Prenant la chandelle pour examiner les tableaux.) Mort de Gilbert … mort de Chatterton … mort de Millevoye … mort de … Non ! … c’est un actionnaire des pompes funèbres … après tout, ça m’est égal pour le temps que j’ai à rester ici. (Ôtant son bonnet et son fichu et se coiffant de nuit.)

(On entend sonner minuit à une horloge du voisinage.)

 

Récitatif.

Minuit ! au point du jour je dois être éveillée …

Reposons-nous en attendant …

Là … sur ce lit, tout habillée,

Pour être debout promptement,

Mais j’y pense, quel doux présage !

Demain on signe le contrat

Et dans huit jours, le mariage,

Qui doit se faire avec éclat.

 

Couplets.

Sonnez, sonnez, cloches gentilles

A mon cœur votre bruit est doux !

Répétez à nos jeunes filles

Bientôt nous sonnerons pour vous.

 

Quelle joyeuse fête !

La jeuness’du pays,

Les violoneux en tête,

Vient m’chercher au logis.

Ma toilette brillante,

Ma tournure élégante,

Font leur effet, c’est sûr !

Chacun l’âme ravie,

En m’admirant, envie

L’heureux sort du futur.

C’est sûr !

Sonnez, sonnez etc.

 

2e Couplets.

D’abord, Monsieur le Maire

En écharp’nous unit ;

Ensuite au presbytère

Le pasteur nous bénit …

Après le dîner, vite …

Maint danseur vous invite,

Aucun n’veut avoir tort.

Et lorsque la journée

Est enfin terminée,

De fatigue on s’endort,

On dort !

 

(Elle s’endort peu à peu pendant que l’orchestre joue en sourdine le refrain : sonnez, sonnez etc., la musique continue jusqu’à l’entrée de Luc.)

 

Scène 2e.

 

Lucette (sur le lit), Luc.

 

(Luc entre doucement avec un rat de cave allumé. Il referme la porte à double tour. Il a une casquette à oreilles, un cache-nez, un manteau, des bottes fourrées.)

 

Récitatif.

Salut à mon foyer ! … Après trop longue absence,

Me voici de retour !

Mon cœur renaît à l’espérance …

Ah ! pour moi quel beau jour !

(Ritournelle majestueuse pendant laquelle il se promène. Puis il s’avance sur le devant de la scène comme pour chanter son air et se mouche bruyamment.)

Brrr ! … j’arrive du Midi … par le chemin de fer du Nord ! … train de nuit ! … grande vitesse ! … Elle est jolie, la grande vitesse ! … à la station de … chose … Voilà le charbon qui nous manque … bien ! … à la station de … d’après, c’est l’eau – très bien ! à celle de … d’ensuite, c’est l’eau … et le charbon … parfait ! – Bref ! la grande vitesse est en retard de cinq heures sur la diligence … En voilà de l’agrément !

(chanté)

Ah ! (point d’orgue de rentrée)

Ah ! quel plaisir ! ah ! quel beau jour !

Enfin me voici de retour …

(Il allume sa bougie et éteint son rat qu’il pose sur une cheminée.)

Enfin, me voici réintégré dans mes lares ! …  je vois avec plaisir que Mr Camuset a tout préparé ! (Il se débarrasse de ses habits, passe sa robe de chambre et met ses pantoufles.) Et j’avais besoin de repos. (Il prend une boule de gomme et tousse.) Pauvre Luc ! ça va mal ! (Il s’étale dans un fauteuil qu’il rapproche de la cheminée.)

Fatal oracle d’Epidaure,

Tu m’as dit …

Voilà déjà six mois que l’oracle d’Epidaure, sous la forme d’Athanase Jouvenet, mon ami intime … pharmacien breveté, bachelier es-drogues, m’a dit la chose vexante ci-après :

Les feuilles des bois,

A tes yeux jauniront encore,

Mais c’est pour la dernière fois.

Et nous sommes au quinze novembre, à la chute des feuilles … à cette époque où le rossignol a perdu son ut de poitrine … Longtemps j’ai lutté contre cette certitude … j’ai consulté des médecins, beaucoup de médecins ! Ils m’ont tous dit la même chose … il n’y a rien à faire … et comme j’insistais, ils m’ont envoyé promener … dans le Midi … alors, abandonné des hommes (Il se lève). Je me suis jeté dans la science … J’ai dévoré des volumes … (Il prend un livre placé sur le petit meuble.) Et j’ai reconnu tous les symptômes de mon mal … oh ! il n’y a pas à tortiller, je suis sûr de mon affaire. (Lisant dans le livre qu’il a ouvert.) « Les faibles de poitrine digèrent « facilement … rien ne leur fatigue l’estomac. » - Et moi donc ! je mange de tout, et ça passe comme une lettre à la poste … C’est horrible à imaginer ! Autre symptôme : « Les faibles de poitrine sont mélancoliques et très enclins aux passions du cœur. » - Et moi donc ! … et moi donc ! La vue d’une femme, d’une simple femme ! … Ah ! chassons ces idées. Dernier symptôme, et le plus foudroyant pour moi : « Prêt de mourir, on devient poète ! – Ainsi Gilbert, aussi Malfilâtre … » … et moi donc ! pour me distraire, sans le wagon, je me suis amusé à composer mon épitaphe, et j’y ai réussi avec un bonheur qui me glace d’effroi ! … C’est d’un poétique … d’une fantaisie ! … Ah ! écoutez : Lai … - C’est le genre de poésie qui me convient le mieux … lai.

Qu’est-ce donc que la vie ?

Une table servie

De mets exquis et délicats,

Où, plein de confiance,

Dans un joyeux repas,

Je vins m’asseoir … vaine espérance,

Car, hélas !

Pour ne sais quel outrage,

L’amphitryon

Me fit sortir de sa maison

Quand n’étais encor qu’au potager !

La plaisanterie se mêle agréablement à la gravité du sujet … C’est le chant du cygne. (Il vide ses poches et met son argent et sa montre dans le petit coffre qui est sur la table de nuit.) Où donc est la clé de ma chambre ? … ah ! auprès ma chaîne de montre. (Il laisse le coffre ouvert.) Maintenant faisons ma couverture ! (Prenant la bassinoire.) Il y a des gens qui me disent : pourquoi ne vous mariez-vous pas ? Pourquoi ! … oui, j’y ai bien pensé, parbleu ! on m’avait même proposé une petite cousine que je n’ai jamais vue … mais qu’on dit fort agréable … Mais, hélas ! il n’y faut pas songer … Oh ! mon ami intime, Athanase, le pharmacie, ne me l’a pas mâché : si jamais tu te maries, tu es un homme mort … aussi, pour ne pas m’exposer à faire une veuve et des orphelins, je me monte l’imagination contre les femmes … je m’étudie à les trouver bêtes … laides … désagréables … et j’ai juré que ce seuil-ci leur resterait à jamais interdit. (En ce moment, il s’approche du lit avec la bassinoire. Lucette se réveille et fait tomber la lumière placée sur la table de nuit. – Nuit.) Hein ? … qui va là ?

 

Scène 3e.

 

Luc, Lucette.

 

(Luc allume son rat. Lucette allume la bougie à la cheminée.)

 

Lucette (apercevant Luc).

Vous n’êtes donc pas un voleur ?

 

Luc (de même).

Vous n’êtes donc pas un brigand ?

 

Lucette.

Mais alors, sortez, Monsieur, sortez !

 

Luc.

Me mettre à la porte de chez moi ! … il est joli, celui-là !

 

Lucette.

Cette chambre est la vôtre ?

 

Luc.

Cette chambre est la mienne … ce lit est le mien … tous ces bibelots sont les miens … mais vous, jeune inconnue, que je ne connais pas, répondez : depuis quand ? … Comment ? Pourquoi êtes-vous ici ?

 

Lucette.

Oh ! mon Dieu, Monsieur, je vas tout vous dire … je suis arrivée ce soir … et je me remets en route demain matin, à six heures ; j’avais une lettre de recommandation pour la maîtresse de cet hôtel.

 

Luc.

La Camuset ! et elle vous a logée dans ma chambre.

 

Lucette. 

Elle ne vous attendait pas …

 

Luc.

Infamie ! Je lui ai écrit que j’arriverais aujourd’hui à Paris … Serait-ce un piège tendu à mon innocence ?

 

Lucette.

Sans doute, elle n’aura pas reçu votre lettre ?

 

Luc.

Vous attaquez l’Administration des Postes ! … vous allez bien, vous ! … je l’ai jetée moi-même dans la boîte ; ainsi, je suis sûr … (Il la retrouve dans la poche de son pantalon.) Ah ! non ! la voilà !

 

Lucette.

Vous voyez bien !

 

Luc.

Alors, je n’incrimine plus la Camuset ; mais n’importe ! … la situation est incohérente … et il faut en sortir.

 

Lucette.

Que vais-je devenir, mon Dieu ?

 

Luc.

Rassurez-vous … je n’aurai pas la cruauté de vous mettre à la porte … seulement, je m’en vais chercher un autre gîte.

 

Lucette (à part).

C’est un bien honnête jeune homme !

 

Luc (qui s’est rhabillé, voulant ouvrir le coffre et ne le pouvant pas).

Vous avez la double clé de la chambre ?

 

Lucette.

Non, Mme Camuset m’a enfermée.

 

Luc.

Allons, bon ! … la mienne est là-dedans … et la boîte s’est refermée.

 

Lucette.

Ouvrez-la.

 

Luc.

Mais je ne peux pas … la serrure est abîmée.

 

Lucette.

Ah ! Monsieur, je vous avais mieux jugé … un pareil prétexte !

 

Luc.

Prétexte ! … le mot est charmant ! … Si vous craignez le tête à tête, je le crains bien plus que vous. (à part) Avec ça qu’elle a des yeux ! Pristi ! quels yeux ! … je ne suis pas en sûreté ici, moi !

 

Lucette.

Mais alors que faire ?

 

Luc.

C’est bien facile, je vais appeler.

 

Lucette.

Tout le monde dort.

 

Luc.

Je vais réveiller tout le monde. (Il va ouvrir la fenêtre et se met à crier.) Boniface !

 

Lucette (l’arrêtant).

Mais, Mr., c’est encore pis.

 

Luc.

Vous aimez donc mieux rester seule avec moi ?

 

Lucette.

Je ne dis pas ça.

 

Luc (retournant à la fenêtre).

Alors, je vais appeler … Bonif …

 

Lucette.

Mais enfin … si l’on vient, et que l’on nous trouve tout deux enfermés, à cette heure ?

 

Luc.

Eh bien ?

 

Lucette.

Eh bien ! on croira …

 

Luc.

On croira … quoi ?

 

Lucette.

Il faut si peu de chose pour compromettre …

 

Luc.

Je brave l’opinion.

 

Lucette.

Je crois bien … vous, un homme. Si j’étais à votre place, je m’en moquerais bien.

 

Luc (à part).

Quelle petite gaillarde ! (haut) Alors, c’est décidé, je reste.

 

Lucette.

Mr., je me confie à votre honneur.

 

Luc.

Ah ! soyez tranquille ! (à part) C’est singulier ! je sens là comme des palpitations.

 

Lucette.

Quel drôle de jeune homme !

 

Luc (allant prendre son violoncelle).

Appelons les arts à notre secours !

 

Lucette.

Vous jouez de ce gros violon, Monsieur ?

 

Luc.

Je ne suis pas de la première force … ni même de la seconde … mais j’en racle quelque peu agréablement. Je suis élève de Jacques Offenbach.

 

Lucette (regardant un morceau de musique que Luc a déposé sur une chaise qui lui sert de pupitre).

Vous chantez aussi ?

 

Luc (avec modestie).

Autrefois, oui … mais maintenant … (Il met la main sur sa poitrine.)

 

Lucette (lisant).

« Les Bergères d’Appenzell. » - (cherchant à déchiffrer.) la la la …

 

Luc.

Tiens ! mais vous-même …

 

Lucette.

Oh ! oh ! j’ai pris quelques leçons … (déchiffrant.) la, la, la.

 

Luc.

Si vous voulez essayer … C’est un duo pastoral … ça se chante et ça se mime … la scène se passe dans les montagnes suisse … Frantz, le chevrier, assis sur un pic escarpé attend Lisely la chevrière … Lisely ne vient pas … Frantz s’emb … unie … et dresse sa plainte sur son pipeau rustique.

 

Lucette.

C’est plein d’intérêt …

 

Luc.

C’est-à-dire que c’est très dramatique. Voyons, commençons. Vous êtes Lisely … je suis Frantz … (Arrangeant des chaises près de la table.) Voici la montagne … (Prenant une chaise.) Voici mon pic … et mon pipeau rustique (Il montre sa basse). Attention ! …

(Il chante en s’accompagnant.)

 

Là-haut dans la montagne

Je ne vois rien venir

Lisely, ma compagne,

Qui peut te retenir ?

Viens donc, viens, je t’appelle !

Ah ! je t’entends, je crois

Non, c’est l’écho fidèle

Qui répond à ma voix !

Ah ! ah ! ah !

 

Mais la nuit est venue

A partir, je suis prêt

Faut-il sans l’avoir vue,

Regagner le chalet ?

Ah ! ah ! ah !

 

(Ritournelle lointaine, accompagnée de tintements de clochettes.)

 

Mais plus de vaines plaintes

Là-haut, sur le coteau

Oui, je t’entends qui tintes,

Clochette du troupeau

Ma Lisely si chère,

Je t’aperçois déjà.

Bientôt, ô ma bergère,

Bientôt, tu seras là.

Ah ! ah ! ah !

 

Lisely (dans l’éloignement).

Ah ! ah ! ah !

 

Luc (parlé).

A vous là-bas, sur la montagne.

 

Lucette (sur la table).

1er Couplets.

Le retour du soir

Comble mon espoir

Une voix fidèle

Au vallon m’appelle

On m’attend déjà

Ah ! ah ! ah !

 

Ensemble.

Agite ta clochette

Mon gentil chevreau

Pour que Frantz qui me guette

M’entende plus tôt

Oh ! oh ! oh !

 

Lucette.

2e Couplets.

Mais quel doux présage

C’est Frantz, il est là !

Sur ce pic sauvage

A Lis’ly, je gage

Il pense déjà

Ah ! ah !

 

Ensemble.

Agite ta clochette etc.

 

Luc.

Agite ta clochette

Mon gentil chevreau

Pour que l’amant qui guette

T’entende plus tôt.

Oh ! oh ! oh !

 

Luc (parlé).

Ici, le drame se complique et devient palpitant ! … En voyant son berger, Lisely veut presser le pas pour le rejoindre … son pied rencontre un noyau de cerise, elle trébuche et roule sur son séant jusque dans le torrent. Frantz pousse un cri … et du haut de son pic, pique une tête ! – Tableau ! – moment de confusion et d’horreur. Lisely barbotte – Frantz barbotte … l’auteur et le compositeur barbotent – mais la providence veille ! – Frantz en est quitte pour un rhume de cerveau et Lisely, pour un bain de siège. – Après l’invocation de rigueur, les deux amants trempés, mais plus brûlants que jamais reviennent bras dessus bras dessous au village, en chantant ce refrain d’une poésie aussi neuve que pittoresque.

 

Ensemble.

Allons, partons, déjà la nuit s’avance

Vers le chalet ensemble revenons.

Convenons-en, sans une heureuse chance,

Au fond de l’eau, tous les deux, nous restions

Allons ! – partons !

 

(la musique doit se terminer en mourant sur ces deux derniers mots qui sont répétés plusieurs fois par les deux chanteurs – à la fin du morceau Luc s’aperçoit que Lucette s’est endormie.)

 

Luc.

Partons ! Partons ! … Elle ne se l’est pas fait dire deux fois … la voilà partie ! (il se lève.) Pauvre innocente brebis ! Elle dort auprès du loup. (il va porter son violoncelle et revient contempler Lucette.) Ô Dieu ! est-elle gentille, quand elle dort … quelles jolies petites mains ! … quels jolis petits pieds ! … et dire que je suis là … seul avec elle … que … (il s’approche de nouveau, puis il tousse et s’arrête avec effroi.) ah ! fuyons ! fuyons ! (il s’élance par la fenêtre et disparaît par les toits.)

 

Scène 4e.

 

Lucette (seule, se réveillant au bruit que fait Luc en se sauvant).

Hein ? … qu’est-ce qu’il y a ? Monsieur ! Monsieur ! Eh bien ! où donc est-il ? Ah ! mon Dieu ! il a disparu … comme une ombre … comme un sylphe … et pourtant …

 

Air :

 

(on entend des chats miauler sur les toits)

 

Luc (en dehors).

Voulez-vous bien vous taire, libertins !

 

Lucette.

Comment ! il est dans la gouttière ?

(elle va sur la fenêtre.)

 

Scène 5e.

 

Lucette, Luc.

 

Luc.

Ah ! le gredin ! (Il entre dans la chambre en tenant sa main sur sa joue.)

 

Lucette.

Vous êtes blessé ?

 

Luc.

Il paraît que j’ai dérangé un tête à tête … et cet animal là s’est mis à jurer après moi … et encore s’il s’en était tenu aux gros mots ! (il montre sa figure.)

 

Lucette.

Il vous a bien arrangé ! mais aussi … qu’est-ce que vous allez faire sur les toits ?

 

Luc.

Que lui dire ? (haut) Je croyais avoir entendu crier à la garde … et j’allais voir … ah ! ah ! je grelotte ! je frissonne ! c’est qu’il pleut d’une force ! …

 

Lucette.

Approchez-vous de la cheminée ! (Elle souffle le feu et met une buche.) Comme vous tremblez ! … Oh ! mon Dieu. Il n’en faut pas davantage pour attraper une fluxion de poitrine !

 

Luc (qui s’est assis dans le fauteuil, se levant brusquement).

O ciel ! qu’avez-vous dit ? … quand c’est pour l’éviter, au contraire.

 

Lucette.

Comment ?

 

Luc (se reprenant).

J’ai dit quelque chose ? c’est possible … mon esprit est tellement engourdi par le froid que je ne le sens pas … il bat la campagne, le drôle ! (il se rassied.)

 

Lucette.

Chauffez-vous ! … Eh bien, ça revient-il un peu ?

 

Luc (se chauffant).

Pas encore ! … j’ai des crampes partout … même dans l’estomac … avec ça que je suis à jeun depuis mon dernier repas.

 

Lucette.

Eh bien ! si je vous invitais à souper ?

 

Luc (à part).

Elle voudrait me conduire dans un restaurant. (haut) Vous oubliez que nous sommes enfermés.

 

 Lucette.

Je le sais bien … mais j’ai des provisions dans mon panier de voyage … j’ai encore une aile de poulet … la moitié d’une galette et les trois quarts d’une bouteille de vin !

 

Luc.

C’est un buffet que votre panier … Eh ! je ne ferai pas le fier … j’accepte … mettons le couvert.

 

Lucette.

C’est ça.

 

Luc.

Voici déjà la table.

 

Lucette.

Voulez-vous me donner une nappe ?

 

Luc.

Une nappe ? … Tenez-vous bien à une nappe ? à la rigueur …

 

Lucette.

On peut s’en passer. – Voici le vin. (Elle le pose sur la table.)

 

Luc.

Voici l’eau. (Il place la carafe sur la table.)

 

Lucette.

Les verres ?

 

Luc.

Ah ! Diable ! … j’en possède un !

 

Lucette.

C’est peu !

 

Luc.

Attendez ! J’ai dans ma poche une tasse en gutta percha. (Il la place sur la table qu’il regarde avec satisfaction.) Eh ! Eh ! ça prend tournure.

 

Lucette.

Et l’argenterie ?

 

Luc (allant au petit meuble).

Ҫa n’est pas ça qui me manque … j’ai un couvert complet en maillechort, cuiller, fourchette et couteau. A vous les honneurs de la fourchette … à moi la cuiller … le couteau, à nous deux. (le plaçant au milieu de la table.) Mitoyen … maintenant on peut servir.

 

Lucette (tirant l’aile de poulet de son panier).

Où mettez-vous vos assiettes ?

 

Luc.

Mes assiettes ? … Je ne les mets pas … ah ! à la rigueur …

 

Lucette.

On peut s’en passer. – Et le pain ?

 

Luc.

Ah ! sapristi !

 

Lucette (l’imitant).

Ah ! à la rigueur …

 

Luc.

On ne peut pas s’en passer.

 

Lucette.

Nous le remplacerons par la galette.

 

Luc.

C’est bien lourd … mais à la guerre

 

Lucette.

Comme à la guerre.

 

Duetto.

 

Ensemble.

A table ! quel brillant festin

Et quelle joyeuse bombance !

A table ! le verre à la main,

Tous deux nous ferons connaissance !

 

Lucette (lui offrant du vin).

Buvez soudain

Un peu de vin.

 

Luc (retirant son verre). 

Non, pas de vin,

De l’eau tout plein !

 

Lucette.

Pourtant le vin

Ҫa vous ranime.

 

Luc.

Jamais de vin !

C’est ma maxime.

 

Ensemble.

Lucette.   Luc.

Le vin, le vin  Le vin, le vin

Nous met en train ! Met trop en train

Buvez du vin !  Jamais de vin !

 

Luc.

Au vin, j’en conviens, je préfère,

Qu’il soit vieux ou qu’il soit nouveau

Un verre de belle eau bien claire

Ҫa ne porte pas au cerveau.

 

Ensemble.

Luc.   Lucette.

Oui, j’aime l’eau ! Il aime l’eau !

 

Lucette.

De ce goût-là, moi, je m’étonne.

Chez nous soit jeunes ou vieillards,

Je ne le connais à personne

Ah ! si vraiment, à nos canards !

 

Ensemble.

Luc.   Lucette.

A vos canards !  A nos canards !

 

Lucette.

Allons, c’est moi qui vous en prie …

A ce nectar goûtez un peu.

 

Luc.

Non, non ! (à part) son regard m’incendie

De l’eau pour éteindre le feu !

 

Ensemble.

Luc.   Lucette.

Au feu ! au feu !  Goûtez un peu.

 

Reprise.

 

Lucette.

Buvez soudain

Un peu de vin.

 

Luc.

Non, pas de vin !

De l’eau tout plein.

 

Lucette.

Pourtant le vin

Ҫa vous ranime !

 

Luc.

Jamais de vin,

C’est ma maxime.

 

Ensemble.

Luc.   Lucette.

Le vin, le vin  Le vin, le vin

Met trop en train  Vous met en train,

A bas le vin !  Vive le vin.

 

Lucette.

Convenez que notre situation est bien extraordinaire.

 

Luc (tout en mangeant).

Elle n’est que trop andalouse.

 

Lucette.

Passer la nuit dans une chambre de garçon … et cela, quelques jours avant mon mariage.

 

Luc.

Tiens ! … vous allez vous marier ? … par inclination, sans doute ?

 

Lucette.

Oh ! c’est selon … d’abord, mon futur n’est pas très bien, si vous voulez …

 

Luc.

Je ne m’y oppose pas.

 

Lucette.

Mais enfin, il n’est pas mal … et puis, il a tant d’esprit …

 

Luc.

En ménage, c’est du luxe.

 

Lucette.

Mais, pour lui, c’était le nécessaire ; car il s’agissait d’éloigner un rival … et un rival qui avait des droits antérieurs.

 

Luc.

Et qui s’est laissé supplanter ?

 

Lucette.

De la meilleure grâce du monde.

 

Luc.

Jobard ! Imbécile ! racontez-moi donc cette aventure drolatique.

 

Lucette.

Figurez-vous que, dans mon pays, à Gournay …

 

Luc.

Tiens ! Vous êtes de Gournay ? … J’y connais quelqu’un à Gournay.

 

Lucette.

Je possède une petite ferme … en plein rapport … C’est du bon bien.

 

Luc.

Ah ! vous êtes fermière.

 

Lucette.

C’est une parente, une sœur de ma mère, qui a laissé cette propriété à moi et à un de mes cousins, que je n’ai jamais vu, à la condition par lui de m’épouser ou de renoncer à sa part de succession.

 

Luc.

Tiens ! Tiens !

 

Lucette.

Vous comprenez que ces conditions là n’arrangeaient guères le jeune homme en question.

 

Luc.

Celui qui a de l’esprit ?

 

Lucette.

Oui … il a si bien fait, que l’autre, le …

 

Luc.

Le jobard !

 

Lucette.

Oui, le jobard a renoncé de lui-même à tous ses avantages.

 

Luc.

Triple Jocrisse !

 

Lucette.

Mais vous ne devineriez jamais le moyen que mon futur a employé pour ça ?

 

Luc (gaiment).

Voyons le moyen ?

 

Lucette.

Figurez-vous qu’il a fait accroire à Mr. Luc …

 

Luc (étonné).

Ah ! L’autre se nomme ?

 

Lucette.

Luc.

 

Luc.

Joli nom !

 

Lucette.

Comme ça !

 

Luc.

Pardonnez-moi, il est biblique !

 

Lucette.

Enfin ! Il lui a fait accroire … vous allez rire … qu’il était malade de la poitrine.

 

Luc (qui allait boire, pose précipitamment son verre).

Hein ? … Vous dites … qu’il lui a fait accroire … ?

 

Lucette.

Et ce brave Mr. Luc Gaillard a donné dedans tête baissée !

 

Luc.

Hélas ! … ce n’était peut être que trop vrai.

 

Lucette.

Mais pas le moins du monde … il se porte comme vous et moi.

 

Luc.

Votre parole d’honneur ?

 

Lucette.

Et pour s’en débarrasser, Mr. Athanase …

 

Luc.

Ah ! Athanase ! … Voilà un nom ridicule.

 

Lucette (continuant).

Lui a conseillé d’aller dans le Midi … et il y est allé ! … C’est drôle, n’est-ce pas ? … ah ! ah ! ah !

 

Luc (riant forcément).

Oui … c’est drôle ! … ah ! ah ! ah ! (à part) J’étouffe de colère !

 

Lucette.

Voyez-vous d’ici ce pauvre garçon, au plus fort de sa jeunesse et de sa santé, qui se condamne au lait d’ânesse, qui va se coucher dans des étables … on n’est pas plus …

 

Luc.

Plus bête ! … dites le mot !

 

Lucette (riant).

Ah ! ah ! ah ! comment ! ça ne vous fait pas rire ?

 

Luc.

Mais si, je ris à gorge déployée … ah ! ah ! ah ! (à part) ah ! je ne suis pas poitrinaire !

 

Lucette (effrayée).

Ah ! mon Dieu ! (Ils se lèvent.)

 

Luc (marchant avec agitation et prenant une voix de basse taille).

Ah ! je ne suis pas poitrinaire !

 

Lucette (tremblante).

Monsieur, qu’est-ce que vous avez ?

 

Luc.

Mais alors, je n’ai plus de ménagements à garder … je peux me livrer à toutes sortes d’excès … (Il arpente le théâtre.) Je peux boire du vin pur ! (Il revient à sa place et se verse deux grands verres de vin pur.) Hum !

 

Lucette.

Il va se griser, le malheureux !

 

Luc.

M’envoyer dans le Midi ! … me faire coucher dans des étables … avec des bêtes à … faut que je me venge ! (Il poursuit Lucette qui se réfugie derrière la table et met deux chaises autour d’elle.)

 

Lucette.

Monsieur ! laissez-moi !

 

Duo et Finale. 

 

Luc.

Pourquoi donc vous défendre ?

Doit-on rien refuser

A l’amour le plus tendre

Qui demande un baiser ?

 

 Lucette.

Je saurai me défendre

On doit tout refuser

A celui qui veut prendre

De force un seul baiser.

 

(Luc cherchant à escalader les chaises qu’elle jette successivement devant lui.)

 

Luc.

Bah ! d’une barricade,

Ici, je n’ai pas peur.

Eh ! vite, à l’escalade !

Oui, je serai vainqueur !

 

Ensemble.

Luc.    Lucette.

Pourquoi donc vous défendre Je saurai me défendre

Etc.    Etc.

 

Luc (grimpé sur une chaise).

Victoire ! Ah ! je la tiens enfin !

A l’assaut, oui, j’ai su la prendre !

 

(Il veut saisir Lucette qui, en s’échappant, fait tomber le petit coffre qui se brise. Elle aperçoit la clé, s’en empare et court vers la porte.)

 

Lucette.

Non, pas encor’- car cette clé soudain

A la liberté va me rendre.

 

Luc.

Elle a la clé je suis volé !

 

Lucette.

Adieu donc, Monsieur, je vous laisse.

 

Luc (saute à bas de la chaise et retombe assis en faisant un geste de douleur).

Aïe ! aïe !

 

Lucette (la main sur la serrure).

Quoi donc ?

 

Luc.

Quelle détresse !

Je le sens … j’ai le pied foulé !

 

Ensemble.

Luc.    Lucette.

Oh ! la, la, la ! quel martyre ! Pauvre garçon ! quel martyre !

Je souffre comme un damné ! Il souffre comme un damné !

Partirez-vous sans me dire  Dois-je partir sans lui dire

Que vous m’avez pardonné ? Que mon cœur a pardonné ?

 

Luc.

Couplets.

I.

Vous le pouvez … quittez-moi donc, madame …

Rien ne doit plus ici vous arrêter.

Lorsqu’un époux, un amant vous réclame,

Vous ne sauriez jamais trop vous hâter.

Allez trouver, comblant son espérance,

Auprès de lui la joie et le plaisir,

Et laissez-moi seul avec ma souffrance,

Vous êtes libre – et vous pouvez partir.

 

Lucette.

II.

Chez vous, Monsieur, quand j’étais prisonnière,

Quand tout devait me faire respecter,

D’une façon un tant soit peu légère,

Vous avez cru qu’on pouvait me traiter,

Mon cœur ne peut oublier cette offense,

Et sans pitié je dois vous en punir.

Oui, tout me dit de fuir votre présence …

Mais vous souffrez … Je ne veux plus partir.

 

(Musique en sourdine à l’orchestre pendant le dialogue suivant et jusqu’à la reprise du morceau.)

 

Luc.

Hein ? … Que dites-vous ? … Il serait vrai … vous restez ?

 

Lucette.

Oui, mais comme garde malade, seulement. – Voyons, prenez mon bras.

 

Luc (s’appuyant sur son bras).

Dieu ! Est-on bien comme ça … et dire que si vous vouliez … car … je veux à présent me marier … et moi voulant, il ne vous resterait plus qu’à vouloir … Mais vous ne voudrez pas … vous tenez à votre Monsieur … comment l’appelez-vous déjà ?

 

Lucette.

Athanase.

 

Luc.

C’est un nom si pitoyable que je ne puis le retenir … avec ça que je suis sûr qu’il a un physique indigne.

 

Lucette.

Par exemple ! – Enfin, si je l’aime, moi !

 

Luc.

Si vous l’aimez ! – Primo et d’une, vous ne l’aimez pas !

 

Lucette.

Oh ! que si.

 

Luc (se levant).

Oh ! que non ! Et je connais quelqu’un, moi, qui vous irait un peu mieux que votre ananas.

 

Lucette.

Et qui donc ?

 

Luc.

Un jeune homme très chic … santé solide … hum ! fortune idem, physique agréable.

 

Lucette.

Ah !

 

Luc.

L’œil vif, la dent belle, la chevelure luxuriante, des talents, quelque peu d’esprit.

 

Lucette.

Mais enfin, cette personne …

 

Luc.

N’attend qu’un mot de vous pour mettre à vos pieds sa main, son nom, son cœur, son patrimoine, son mobilier …

 

Lucette.

Quoi ! ce serait ? …

 

Luc.

Oui … V’lan … ça y est !

 

Suite du duo.

 

Ensemble.

(mettant la main sur leur cœur.)

Toc ! toc ! toc ! toc ! comm’ça bat !

Toc ! toc ! toc ! toc ! quel sabbat !

 

Luc (montrant son pied).

A tant de souffrance

Daignez compatir !

Un mot d’espérance

Peut seul me guérir.

 

Lucette.

A tant de souffrance

Faut-il compatir ?

Un mot d’espérance

Pourrait le guérir.

 

Luc.

Couronnant la flamme

Qui brûle mon cœur …

Devenez ma femme,

Faites mon bonheur !

 

Lucette.

Quoi ! moi, votre femme !

Quel trouble en mon cœur,

Je ris de sa flamme

Et de son ardeur.

 

Ensemble.

Toc ! toc ! toc ! toc ! comm’ça bat !

Toc ! toc ! toc ! toc ! quel sabbat !

 

Luc.

Allons, cruelle,

Décidez-vous !

Qu’un baiser scelle

Des nœuds si doux !

 

Lucette.

Que dites-vous ?

 

Ensemble.

Toc ! toc ! toc ! toc ! comm’ça bat !

Toc ! toc ! toc ! toc ! quel sabbat !

 

(Luc se jette aux pieds de Lucette qui lui tend la main. – En ce moment, on entend frapper avec force à la porte du fond. – La musique continue en sourdine.)

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Le Rêve d'une nuit d'été (1855)

LE REVE D'UNE NUIT D'ETE

Scène bouffe d'Etienne Tréfeu

Musique de Jacques Offenbach

Créée sur le Théâtre des Bouffes-Parisiens, le 30 juillet 1855

Livret déposé au Bureau de la Censure Parisienne.

PREMIERE PUBLICATION POSTHUME 

TOUS DROITS RESERVES

© Jean-Christophe Keck, 2020

 

Personnages :

Le Captain Grog.

Master John.

Rosita.

 Un garçon de café. } personnages muets

Un danseur.            }

 

 

Jardin de Mabille. Massifs de verdure, table et sièges de café.

 

Scène 1ère.

 

John (seul).

Véné donc, Captain, nos être ici très bien pour rafraichir à voir les quadrilles. (il descend la scène.) oh ! le jardin de Mabille ! oh ! Pariss … c’était … (Il ne trouve pas l’expression.)

 

Air.

Oh ! Pariss ! Pariss !

Séjour vraiment charmant

Oh ! séjour splendide

Inded !

Les nuits, les jours !

O Pariss ! Pariss ! séjour vraiment

Charmant

Very splendid ! Les nuits et les jours

Toujours !

Oh ! Pariss ! Pariss ! c’était our ciel       } bis

De miel !                                                 } bis

C’était pour lé Anglais lé terr’d’ivresse } bis

O yess !

Inded ! o ! yes ! inded ! o ! yes ! etc.

Oh ! Pariss ! séjour etc.

Partout en large comme en travers

Partout j’ai parcouru l’iounivers

Jamais dans les pays découverts

Oh ! yes ! comme en ceux pas découverts

Jamais j’ai vu rien de plus joli

Oh ! non que le Louvre ramolli

Que la rue de Rivoli

De Macadam embelli

Oh ! yes ! j’avais déjà partout

Vu tant de tout

Que je croyais plus rien du tout !

Haow ! etc.

(refrain)

Oh ! Pariss, Pariss séjour etc.

 

Scène 2e.

 

John, Grog (assis), Le Garçon.

 

John (appelant).

Gâaçonne ! du champaigne !

 

Grog.

Yes ! Gâaçonne, apporté ioune paire de bottes !

 

John.

Captain, qu’est-ce qué vos parlez dé paire de bottes ?

 

Grog.

Je disais à lé gâaçonne d’apporter ioune paire de bottes ! ioune botte pour vos, ioune botte pour moa de champaigne !

 

John.

Oh ! très bien ! ioune paire de bôt … eilles ? (au garçon.) Gâaçonne deux bôteilles de champaigne. (Le garçon va chercher et rapporte le champagne demandé.) On disait : bôteilles ! et pas : bottes !

 

Grog.

Merci !

 

John.

Eh bien ? Captain, comment trouvez-vous cette jardin de mébille ? cette inimitable merveille ?

 

Grog.

Oh ! c’était très … (il tend son verre au garçon qui a débouché une bouteille.) Tous ces enivrémens de miousique, tous ces ombragemens de veridoure,tous ces éblouissements dé toilettes loumières, ces étourdissemens de toilettes, ces étouffemens de mioultitude … oh ! … C’était … C’était ioune rêve !

 

John.

Pour moi, je demandai pardoune à Mosseu Milton, notre grande poête, mais le paradiss il n’était pas aussi perdiou qu’il voulait bien le dire ! Oh ! Pariss ! oh ! le France ! le belle France … grande nation le France captain Grog !

 

Grog.

Master John, ma compatriote, le France, voyez-vous, pour lé inventionnemens des amiousemens et pour le progressemens du huitellect c’était lé entrepôts du glôobe ! le dock iouniversel !

 

John.

Oh ! certainement ! C’était lé magasin des chandelles !

 

Grog.

Qu’est-ce qué vous parlé dé chandelles ?

 

John.

Je disais que Pariss, il était lé iounique magasin des chandelles pour lé éclairemens de l’hioumanité.

 

Grog.

Oh ! très bien ! On disait pas chandelles … on disait loumières !

 

John.

Merci ! (il se lève.) au santé du France !

 

Grog (se levant aussi).

Avec lé Angleterre. (ils trinquent et boivent. On entend une polka jouée en sourdine.)

John.

Oh ! lé Polka ! Captain expectez-moi, je reviens tout suite … je voulais voir danser encore le célébrité de Mabille, mademoiselle Porte pipe Musette.

(il disparaît.)

 

Scène 3e.

 

Grog (seul).

(Il tire une longue vue de sa poche et l’allonge.)

Haow ! lé délicieuse miousique ! (il s’avance vers les massifs et lorgne.) Haow ! verywell ! beautiful ! J’aimais beaucoup toutes ces mademoiselles avec leur sauticotemens ! Le jolie danse qué lé Polka ! (il revient boire.) Ô Shakespeare ! qu’est-ce qu’il était ton rêve d’ioune nuit d’été auprès de cette Paradiss du ciel ? … il était rien du tout ! Ô Obéron ! Ô Titania ! et vous, ô génies protecteurs dé ces ombrages de volioupté, laissé moa vous exprimer lé éclatemens de mon admiration, dans lé poésie, de lé propre langue dé moi, aussi douce que harmonieuse … oh ! yes ! (il boit.)

(il chante.)

« how do you dog just to make my fellow just !

« my gentl girl, garden, Watle ! girl go to bed, well dancing must!

wheu to days well lock lock asound         large and small

„tower tows blow not at all!“

Ce sublime accent … oh! yes!

Si interessant … oh ! yes !

Si doux jusqu’au bout !

C’est rien du tout ! no !

II.

S’il était ioun vraie Anglais. Stop !

Qui pouvait dire à prou près … quick !

Ce que signifie un si joli chant

Et je loui donne ioun - merle blanc !

Ce sublime accent oh ! yes !

Si

(il aperçoit Charlotte qui traverse dans le fond dansant la polka avec un cavalier et suivie de John qui danse aussi grotesquement en tenant constamment sa jumelle braquée sur la danseuse.)

Haow ! le ravissante mademoiselle (il lorgne avec sa longue vue.) Qu’elle était graciouse dedans son robe de soie plous large que le ballon de Mosseu Godard ! (il lorgne encore.) On dirait Miss Ophélia avec son personne, son figure, son crinoline mélancolique (il aperçoit son ami.) haow ! John ! … Master John ! … Come ! Come ! Venez ici un peu !

 

Scène 4e.

 

John, Grog.

 

John.

Oh ! Captain ! Lé sédouissante créatioure avec comme sans lorgnette.

 

Grog.

Qu’est-ce qué c’était que cette mademoiselle ?

 

John.

C’était lé plous adorable sorcière dé mébille ! Mademoiselle Porte pipe Miousette !

 

Grog.

Haow ! Porte pipe Miousette ?

 

John.

Yes ! Mademoiselle Porte pipe Miousette ! interrogé le premier gentleman ! tous les échos d’alentour ! … C’était ioun nom de propriété je croa …

 

Grog.

Je croa, Master John qué vous connaissé cette mademoiselle Porte pipe Miousette ioun peu plous que … davantage ?

 

John.

Taisé vous ! Cette mademoiselle était très … respectable !

 

Grog.

Haow !

 

John.

Croyez pas toute lé mal qu’on disait de cette jardin de Mébille !

 

Grog.

Haow !

 

John.

Je vous jioure ! – Voulé vos que je vous dise ? … avant l’autre soir, moi aussi je croyais ! … Figurez-vos que cette soir là je avais le champaigne si plein dans lé cervelle que je voltigeais dans lé bal comme ioun papillon dé mouche ! – Je invite mademoiselle Porte pipe Miousette pour lé valse … elle accepte … je loui presse lé main, je loui presse lé taille …

 

Grog.

Haow ! Très bien !

 

John.

Voilà qu’au plus fort du tournoyement je perds le tête je loui demande …

 

Grog.

Haow ! … Très bien !

 

John.

Rien du tout … mais mon valseuse sourit avec son bouche, moi, je crois, qu’elle accorde à moi lé favorisemens d’aller attendre elle, dans le première voiture à la porte. Je cours, je trouve, je monte dans le voiture.

 

Grog.

Que vous avez payée ?

 

John.

No ! no ! je avais payé le cocher mais pas le voiture … Eh bien Captain, je souis resté avec moi-même toute seule … dans l’expectation de rien du tout, pour 18 francs, à 1 franc cinquante l’heure ! C’était ioune peu trop cher pour voir lé loune … et lé soleil aussi.

 

Grog.

Master John, quand on fesait lé mylord, on payait ! …

 

John.

Mais c’était pas moi lé mylord, c’était lé voiture ! Je voudrais bien savoir pourquoi cette cocher de bête, il avait appelé son voiture, ioun mylord ?

 

Grog (cherchant).

Parce qué on avait mis vos dedans !

 

John.

Disé donc, maintenant que Mademoiselle Porte pipe Miousette, il était pas ioune modèle pour le vertiou dé sagesse !

 

Grog.

Certainement, mais si je voulais ioune gage d’amour.

 

John.

Vous auriez rien du tout … je vous dis !

 

Grog (s’asseyant).

Voulé-vous gager lé champaigne à lé discrétion ? (il remplit les verres.) (Mlle Musette apparaît son éventail à la main.)

 

John.

Yes ! je tenais lé pari … que vous danserez même pas vos, avec elle, ensemble ? (il s’assied.)

 

Grog (lui tendant la main dans laquelle John frappe).

Au santé de Mademoiselle Porte pipe Miousette.

(il lève son verre.)

 

John.

Captain ! à votre triomphemens ! (il lève aussi son verre, à ce moment accourt Rosita qui l’aperçoit et saute dessus.)

 

Scène 5e.

 

Les Mêmes, Rosita.

 

Rosita (le verre en main).

Enlevé ! (Elle le vide d’un trait.)

 

John et Grog.

Haow !

 

Rosita (tendant son verre).

Eh bien ? C’est moi ! moi qui vous en demande un deuxième. Mylords et Messieurs, comme on dit chez vous, l’un de vous, je ne sais lequel vient à l’instant de me porter une santé ! une politesse en vaut une autre … à la vôtre mes gentils hommes !

 

John.

Oh ! expecté, mademoiselle. Gâaçonne youre verre. (le garçon en apporte un.)

 

Rosita.

Mille pardons ! C’est le vôtre que j’ai porté à mes lèvres ?

 

John (remplissant celui qu’on vient d’apporter).

Oh ! yes ! je voudrais bien que ce serait moi le verre !

 

Rosita.

Vous êtes charmant !

 

Grog (se levant).

Permetté moa, madelle Porte pipe Miousette.

 

Rosita.

Qu’est-ce que vous dites ?

 

John (se levant).

Mademoiselle Porte pipe Miousette.

 

Rosita.

Hein ? Rosita ! s’il vous plaît !

 

John.

Mon ami le captain Grog, voulait porter encore ioun toast à votre incomparable personne !

 

Rosita.

Messieurs, au plaisir enchantée d’avoir fait votre précieuse connaissance.

 

John.

Oh ! je vous connais.

 

Rosita.

Tiens, où donc vous ai-je déjà vu, vous ?

 

John.

Ici, mardi dernier, c’était moi que vous avez envoyé dedans ioune voiture à le porte !

 

Rosita.

Oui, je me souviens … (Elle lui tend la main.) how do you do ? Ҫa va pas mal et vous ?

 

John.

Very well !

 

Grog.

Je crois que cette soir là, mon ami Master John était ioun peu beaucoup tipsy !

 

Rosita.

Qu’est-ce que c’est que ça, tipsy ?

 

John.

C’était avoir trop dé champaigne dans lé cervelle.

 

Rosita.

Ah ! très bien, en France, nous disons gris ! ça a plus de couleur ! il paraît du reste que votre ami, le capitain drogue comme vous dites, a aussi un faible passablement fort pour le champagne ?

 

John.

Oh ! yes ! C’était ioun vin si bon, si pointu ! si folichoune !

 

Grog.

Lé champagne, Madémoiselle, c’était le roast’beef du boire.

 

Rosita (à part).

Ils sont drôles, ces deux mylords ! (haut) Voyons ! trinquons encore et vive le champagne, sur l’air de Pepito.

 

1er Couplets.

Le voilà

Ce vin que j’adore

Lalala etc.

Le voilà

C’est bien celui là

La la etc.

Liqueur pétillante qui dore

Ce pur cristal

Serais-tu des maux de Pandore

Le plus fatal ?

La la ! etc.

Si c’est un poison abrégeant les jours

Pour ma part j’en ris que les miens soient courts !

J’aime le champagne esprit des amours

Tant qu’on en aura, j’en boireai toujours !

 

John.

Haow ! Que c’était jôli !

 

Grog.

Encore ! encore … ioune paragraphe.

 

2e Couplets.

 

Rosita.

Ce vin là,

Combien j’en suis aise !

La la ! etc.

Ce vin là

Rien ne l’égale

Là ! là !Soutien de la gaité française

Partout goûté

On s’offre la plus écossaise

Hospitalité !

Là là ! etc.

Si des sottes gens qui, sans nul désir

Au fond d’un panier te laisse moisir

Pars, saute, pétille, unique élixir

Et ravive en nous le feu du plaisir !

 

Chanson.

 

Rosita.

Vin charmant dans ce cristal

Vin sans pareil !

 

John.

Sans égal

 

Grog.

Oh ! yes encor mioux que sans égal

 

Rosita.

Son mérite est bien goûté

C’est la gaité !

 

John.

La gaité !

 

Grog.

Biouvons la gaité !

 

Rosita.

Vin joyeux ! on choisit

Même parmi les meilleurs crus d’Espagne

Vin joyeux on choisit

Pour raviver le plaisir

Un semblable élixir !

 

John.

Oh ! Très bien ! c’est le vin !

 

Rosita.

C’est le vin des amours

 

Grog.

O ! Très bien ! very good ! le bon vin

Very good ! Very good ! etc.

 

Rosita.

Sans le champagne

Qui battrait gaiment la Campagne

Sans le champagne

Qui donc pourrait rire toujours !         

 

Ensemble.

Rosita                          John et Grog.

Sans le champagne !        Very good ! very good !

 

John.

Haow ! que c’était jôli !

 

Grog.

Oh ! mademoiselle Miousette encor une petite paragraphe !

 

Rosita.

Jus divin que l’homme fait

Seul vrai nectar !

 

John.

Très parfait !

 

Grog.

Oh ! yes encor plous que très parfait !

 

Rosita.

Brûle, éteins notre raison

Comme un poison.

 

John.

Ioun poison !

 

Grog.

Biouvons le poison !

 

Rosita.

Philtre aimé des amours

Porte nous au pays de cocagne

Philtre aimé des amours

Abrégerais-tu nos jours

Je te boirai toujours.

 

John.

Oh ! Très bien ! c’est le vin !

 

Rosita.

C’est le vin des amours !

 

Grog.

Oh ! Très bien ! very good ! le bon vin

Very good ! very good ! etc.

 

Rosita.

Sans le champagne

Qui battrait gaiment la campagne

Sans le champagne

Qui donc pourrait rire toujours

 

Ensemble.

Rosita                          John et Grog.

Sans le champagne          Very good, very good

 

John (voit que les bouteilles sont vides).

Oh ! les bôteilles, ils étaient mortes ! gâaçonne ! du champaigne !

 

Rosita.

Demandez le frappé ! C’est meilleur et plus cher.

 

John.

Gâaçonne ! du champaigne battiou deux bôteilles !

 

Rosita.

En voilà des entonnoirs britanniques. J’espère que comme ça pousse à la consommation. (haut) y a-t-il long-tems que vous êtes à Paris, Messieurs ?

 

Grog (passant devant John).

No, huit jours, au plous … oh ! no avons déjà visité tout le capitale !

 

John (passant devant lui).

Nous avons vu lé bourse de Pariss !

 

Grog (de même).

Yes (à son ami.) On disait plous lé bourse ! on disait : le porte monnaie de Pariss !

 

John.

Merci. (il passe devant lui.) Nous avons vu le palais royal.

 

Rosita.

Je suis sûre que vous avez été entendre le petit canon !

 

John.

Yes ! … mais il était baouché !

Rosita (imitant l’accent).

Oh ! il était baouché ?

 

Grog (de même).

Tous les soirs avant de nous coucher nous allons pour entendre loui partir.

 

Rosita (imitant encore).

Il ne partait plous !

 

John.

No ! je ne sais pas pourquoi ?

 

Rosita (à part).

Ah ! ils sont bons mes gentelmans ! (haut) C’est que la poudre a déjà servi ! et voilà sir John, tout ce que vous avez vu d’intéressant à Pariss ?

 

John.

Oh ! no avons vu aussi l’o l’o …

 

Grog.

L’o … l’obélisque.

 

Musette.

Ah ! l’obélisque, est-ce que vous êtes montés dedans ?

 

John.

No ! no !

 

Grog.

Nos avons pas nos passeports.

 

John.

Oh ! je suis été voir encore lé frégate école !

 

Grog.

Taisé vos ! Est-ce que Pariss il avait jamais été ioune cochon de mer ?

        

John.

Captain ma compatriote ! on disait pas ioun cochon de mer ! on disait ioune port de mer !

 

Grog.

O mon Diou ! Le port ou le cochon pour moi, c’était bien le même chose ! mais né mi disé plous que Pariss il était ioune cochon de mer.

 

Rosita (se mettant entr’eux).

Le capitaine drogue a raison ! pour que Paris soit un cochon de mer comme il dit, il faudrait que ses ponts eussent été des truies ! (à part) attrape !

 

Grog.

Détruits ? je comprenais pas : détruits ?

 

John (souriant).

Oh ! C’était ioune carambolage !

(il rit.)

 

Grog.

Haow ! Très bien. (il rit aussi.) Je comprenai pas du tout.

(On entend une valse en sourdine.)

Tiens ! lé valse !

 

John et Grog.

Madémoiselle !

 

John.

Captain ! allé chercher le champaigne.

 

Grog.

Allé vous-même.

 

John et Grog.

Madémoiselle.

 

Grog.

John … allé chercher le gâaçonne.

 

John.

Jé volai pas !

 

John et Grog.

Mademoiselle vous plairait-il dé valser ?

 

Rosita.

Volontiers, mais il s’agit de vous entendre !

 

John.

Avec moi !

 

Grog.

No ! avec moi !

 

John.

Taisé vô ! J’avais parlé avant vos.

 

Grog.

Mille diables ! j’avais demandé lé premier !

 

John (croisant les poings).

Prené garde ! je allai boxer !

 

Rosita (les séparant).

Messieurs ! Sir John !

 

Grog (croisant aussi les poings).

J’écrasai vos !

 

Rosita.

Captain drogue. Capitaine !

 

John et Grog (voulant s’attaquer).

Laissé moa … laissé moa !

 

Rosita (en colère, frappant du pied).

Goddam !

John et Grog (ébahis).

Haow !

 

Rosita (fait une profonde révérence).

Messieurs, désolée de vous refuser … je suis engagée ailleurs.

(Elle s’éloigne.)

 

John.

Eh bien, mademoiselle pour lé prochaine !

 

Grog.

Oh ! yes ! … pour le polka !

 

Rosita (du fond).

J’accepte !

 

John.

Mademoiselle ? avec le captain ou avec moa ?

 

Rosita.

Avec le plus raisonnable.

(Elle disparaît.)

 

Scène 6e.

 

John et Grog. (déjà fort émus.)

(Le champagne frappé est apporté – ils vont s’asseoir et le débouchent.)

 

Grog.

Master John, vous étiez iouine stioupide !

 

John.

Captain Grog ! vos étiez ioune … encore plous que moi.

 

Grog.

Je propose à vos ioune douel !

 

John.

Yes ! tout de suite !

 

Grog.

Asseyez vos ! (il prend une bouteille et remplit le verre de son ami.) Biouvé !

 

John (s’assoit, prend l’autre bouteille et fait le même manège).

Biouvé aussi !

 

Grog (même manège).

Encore !

 

John (id.)

Yes !

 

Grog (id.)

Toujours !

 

John (id.)

Certainement.

 

Grog (à p.)

Je coucherai loui sous lé table !

 

John (à part).

Pauvre captain il va perdre lé tête !

 

Grog (déjà ivre).

Je danserai avec mademoiselle porte pipe. Miousette.

 

John (ivre aussi).

Vous aurez pas ioun gage d’amour !

 

Grog.

Vous avez perdiou le pari ! (il tire de sa poche le verre où Charlotte a bu.) Voilà c’était son verre … Oh ! joli verre ! j’aimé vos … (il l’embrasse.) donné dessus … mon cœur … (il le remet dans sa poche.)

 

John.

Vive le amour de France !

 

Grog.

Vivent les mademoiselles Porte pipe. Miousette. (il s’assied à la place de John.)

 

John.

Captain … Vous êtes tipsy ! (il va pour prendre sa place, Grog le repousse.)

 

Grog (se lève en chancelant).

Je suis pas plous tipsy que vos ! haow ! Voici lé mademoiselle !

 

John (se levant).

Où voyez-vous ? farceur ! il était rien du tout.

 

Grog (à part).

Haow ! il était pas mort ! encore ! (haut) John, my dear John, si vos étiez ioune divinité, je prendrai vos par lé taille.

 

John.

Chatouillé pas ! chatouillé pas !

 

Grog.

Voulez vous que nous valsions

 

John.

Yes, valsons le gigue. (à part) il était perdiou !

 

Grog (à part).

A moi lé victoire !

 

(ils dansent la gigue.)

 

John.

Captain … vous avez plous des yeux !

 

Grog.

Il voyait trouble. John, vous avez deux baouches !

 

John (s’arrêtant, à part).

Il voyait double. (haut) Stop ! voilà les arbres qui tournent.

 

Grog.

Yes, le ciel, le terre, tout tourne.

 

John (il va tomber à la place de Grog et se tient renversé). (il va s’asseoir à la place de Grog.)

O mon diou ! je allais mourir suis un peu tipsy.

 

Grog (il est tombé sur la chaise de John et se couche sur la table).

Haow ! lé table ! le table qui tourne aussi … (il veut la retenir.) Damnation ! Je suis mort. Je suis aussi tipsy je croa. (il se jette à la renverse sur sa chaise – John à son tour tombe sur la table.)

 

Scène 7e et dernière.

 

Les Mêmes, Rosita (elle arrive en jouant de l’éventail.)

 

Rosita.

Ah ! bon Dieu ! Qu’est-ce qui m’a mis mes chers anglais dans cet état là ? J’espère qu’ils sont … tipsy ! (Elle va se verser à boire.) Amour ! toi qui perdis Troie ! regarde … et de deux … ô Champagne ! Champagne ! Combien en perdras-tu ?

 

Grog (rêvant).

Haow ! Mademoiselle !

 

Rosita.

Il rêve de moi ! … où l’amour va-t-il se nicher.

 

Grog (rêvant).

Le joli gigot de mouton ! C’était lé pourrais au natiourel de mistres Grog mon femme … pour lé fraicheur !

 

Rosita.

Que     le patafiole lui et son gigot.

 

John (rêvant). 

Haow ! miss Rosita.

 

Rosita.

A l’autre à présent !

 

John (rêvant).

No … pas au diner gastronomique … mauvaise alimentation.

 

Rosita.

Merci ! un établissement superbe avec des garçons des plus ficelés !

 

John (rêvant).

Jé né mangeai pas les domestiques !

 

(on entend la polka.)

 

Rosita (frappant sur leurs épaules).

Sir John ! debout ! … Capitaine drogue entendez-vous ! (grognement) Ah ! par exemple ! est-ce que ma polka serait manquée ? (Elle leur frappe sur l’épaule.) sir John ! Capitaine ! (Elle prend les deux bouteilles et leur verse le contenu sur la tête.) Au feu ! au feu ! vous allez brûler.

 

Grog et John (se réveillant).

Haow !

(Grog retombe.)

 

Rosita.

Et ma polka promise ? qui m’offre la main ?

 

John (se levant avec peine).

C’était moa … (il voit son ami.) poor man ! (il s’empare de la taille de Rosita.) à moi le triomphement.

(ils dansent la polka.)

 

Grog (faisant des efforts pour se mettre sur ses jambes).

No … je voulais pas … oh ! nomademoiselle. (il se tient au dossier de la chaise.) no ! (il voit le couple s’éloigner qui danse.) il était plous tipsy que moa ! no … jamais ! (il retombe assis et casse son verre.)

 

Rosita.

Honneur au courage malheureux !

(Elle entraîne John.)

 

Grog (tirant les morceaux du verre de sa poche).

Cassé, j’avais cassé Cassé ! misérable infortiouné ! je volai être pour toujours en duel avec le crêpe noir … no pas en duel … en deuil ! Oh ! yes ! … je étais en deuil … je valai être en deuil pour toujours. (il tombe la tête sur la table – John et Rosita disparaissent.)

l’verre … oh ! infortiouné que je souis … Gâaçonne ! apportez moa ioune crêpe noir … je volais être en douel … no, oh ! en douil ! Yes ! C’était le mot, je volais être en douil pour toujours. (il part d’un éclat de rire, prend son verre et danse.)  O ! Très bien ! Very good, very good.

 

John à Rosita

(suivent deux lignes illisibles)

 

Reprise de l’Ensemble.

 

Rosita.                         Grog et John.

Sans le champagne          Very good, very good

 

La toile baisse.

Fin.

 

 

 

    

 

 

Paimpol et Périnette (1855)

 

 

 

PAIMPOL ET PÉRINETTE

 

 

OPÉRETTE EN UN ACTE

 

 

 

paroles de

 

Auguste Pittaud de Forges

 

musique de 

 

Jacques Offenbach

 

 

 

Représentée pour la première fois à Paris,

sur le théâtre des BOUFFES-PARISIENS, le 20 octobre 1855.

 

 

 

 

PREMIERE PUBLICATION POSTHUME

 

 

TOUS DROITS RESERVES

 

 

© Jean-Christophe Keck, 2020

 

 

 

 

PERSONNAGES 

 

 

 

 

PAIMPOL  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  MM.   Berthelier

FANFAN, le garde-moulin  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 

PÉRINETTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 Mlle.  Dalmont

 

 

La scène se passe dans un petit village de Bretagne. 

Le théâtre représente la salle basse d’un moulin. Porte d’entrée au fond. Porte à gauche du spectateur. À droite une fenêtre. Table, escabeau, etc.

 

 

SCÈNE 1ÈRE 

 

PÉRINETTE.

 

périnette. (arrivant par le fond, et parlant à la cantonade. Elle tient une lettre à la main.) Merci, M. le Piéton… ben obligée ! (Entrant) Une lettre… de quinze sous… si c’était de mon mari Paimpol, qui est parti il y a quatre ans avec son ami Landurian le matelot… pour lui faire la conduite… et qui n’est pas encore revenu ! En voilà une conduite !… Où est-il allé, le monstre !… Quatre ans de veuvage… c’est ben long pour une honnête femme… Au moins s’il a fait fortune !… Voyons donc bien vite ce qu’il m’écrit… (Elle ouvre la lettre.) Tiens… ce n’est pas son écriture… (Regardant la signature.) Signé « Landurian »… Que signifie ?… (Elle lit ) « Mame Périnette… » (S’interrompant) C’est drôle… c’te lettre me cause une émotion… un je ne sais quoi… comme qui dirait un pressentiment heureux… (Continuant) : « J’ai le plaisir de vous tracer ces lignes pour avoir la satisfaction de vous annoncer que votre mari est mort… » Ciel !… « et enterré… » Malheureuse Périnette !… Je ne me consolerai jamais… (Regardant la lettre.) Qu’est-ce qu’il peut m’écrire encore… après une nouvelle comme ça… Nous disons : mort et enterré. (Elle lit.) « Mais que cela ne vous fasse pas trop de peine… » Par exemple !… « Il n’est mort que pour rire… » Ah ben ! « Comme les voyages ont un peu détérioré son physique, ça lui a donné l’idée de se présenter à vous sous mon nom et mes habits pour vous faire part lui-même de son décès afin d’éprouver votre amour et votre fidélité avec laquelle je suis pour la vie, ainsi que ma grand’ mère et notre chien Brisquet, votre matelot et très-humble servante, Landurian. » Eh ! bien, c’est du joli.

 

 

AIR

 

De Monsieur mon mari

L’insolence est extrême.

Ici son stratagème

Par moi sera puni.

 

Après quatre ans  d’absence

Quand il est de retour,

Soupçonner ma constance,

Douter de mon amour,

N’est-ce pas  chose infâme,

Et dont je dois, vraiment,

Pour l’honneur de la femme

Me venger promptement ?

 

Ah ! monsieur mon mari,

Quelle insolence extrême !

Mais votre stratagème

Par moi sera puni.

 

Voyez pourtant quelle constance

Pendant quatre ans il m’a fallu

Malgré les ennuis de l’absence

Pour bien conserver ma vertu !

Les plus beaux garçons du village

M’offraient leur hommage et leur foi,

Et, pour consoler mon veuvage,

S’empressaient tous autour de moi.

 

C’était Lubin,

C’était Firmin,

C’était Robin,

C’était Lambert,

Rigobert,

Et Robert,

Et Lucien,

Et Julien,

Et Thomas,

Et Lucas,

Valentin,

Mathurin,

Babolin !…

Tous bien gentils,

Tous bien épris

Et pleins d’ardeur

Se disputant mon cœur.

(Avec un soupir.)

Ah ! pour leur résister à tous

Il fallait bien de la force, entre nous…

 

(Reprenant avec indignation.)

Ah ! monsieur mon mari,

Quelle insolence extrême !

Mais votre stratagème

Par moi sera puni.

 

 

paimpol. (au dehors.) Oui… oui… au bout du sentier… Je vois le moulin… 

périnette. (allant regarder à la fenêtre.) C’est lui… Je reconnais sa voix… C’est drôle, v’là mon cœur qui fait tic tac plus fort que mon moulin, et pour un rien j’irais lui sauter au cou… mais non… après ce qu’il m’a fait… il mérite une petite leçon… et il l’aura. Oui, c’est cela. Ah ! Mr Paimpol !… Vous vous méfiez de votre femme. (Elle rentre vivement dans sa chambre.)

 

 

SCÈNE 2e 

 

PAIMPOL (vêtu en matelot, le sac au dos, un bâton à la main. Il a de gros favoris et le teint très-cuivré.)

 

paimpol. Ouf… je boirais bien quelque chose !… Vous me direz : Quand on revient des colonies… trois mille lieues plus loin que le sud… il est permis d’avoir chaud et soif… (Regardant autour de lui.) Me revoilà donc dans mon moulin… chez ma femme !… C’te pauvre Périnette… (Se frottant les mains.) C’est tout de même une fameuse idée qui m’a poussé là, de l’éprouver un brin… car enfin, il y a eu quatre ans aux melons que je suis absent… et en quatre ans de temps on ne sait pas… une femme c’est si casuel !… Avec ça que la mienne n’en veut peut-être un brin… quoique ce ne soit pas de ma faute… Car enfin, je vous en fais juge… Landurian me dit un jour : Dis donc garçon… j’embarque à ce matin pour aller à Lorient pêcher des sardines… Viens donc me faire un bout de conduite et déjeuner avec moi sur mon raffiot. – Tope, que je lui réponds. J’embrasse Périnette. – T’impatiente pas, ma biche… que je lui fais… dans deux petites heures au plus tard je serai de retour au moulin… Et les deux petites heures ont duré quatre ans… passés à quoi faire ?… Je vous le demande… à folichonner dans les cinq hémisphères…

 

 

AIR

 

Dans chaque pays, à la ronde,

Léger comme un vrai papillon,

De toutes les beautés du monde

J’ai voulu prendre échantillon…

Volant de conquête en conquête,

Je les enflammai  tour à tour,

Mais rien ne vaut ma Périnette,

Mon premier et mon seul amour.

 

Chez les Égyptiennes,

Chez les Circassiennes

J’eus de doux moments,

Près des Espagnoles

Jalouses et folles,

J’en eus de charmants.

Au Mexique, à Rome

Il fallait voir comme

On se m’arrachait,

Et plus d’une dame

Me prouva sa flamme

À coups de stylet…

À Naples, des belles

Par mes tarantelles

Je touchai le cœur.

Puis d’une Flamande

Avec l’Allemande

Je fus le vainqueur.

Bref, dans chaque danse

J’eus la même chance,

Et même à Lima

Pour une négresse

J’ai dans mon ivresse

Dansé la chica

Et la bamboula.

 

 

Allons, allons, je suis dans mon tort… et je me repens presque du chagrin que je vais causer à ma femme… mais bah !… Elle n’en sera que plus joyeuse quand elle saura que c’est une frime et que je reviens vivant… bien vivant… avec un joli magot… V’là sa chambre… entrons… (Il va pour entrer, mais la porte est fermée.) Tiens… all' s’enferme. Ah ! au fait, c’est plus prudent… une femme seule. (Il frappe.) Eh ! la maison… mame Paimpol… (Il frappe plus fort. Une grosse voix répond : « On y va. ») Hein… qu’est-ce que c’est que ça ? Ah ! all’ est peut-être ben enrhumée. (Il frappe de nouveau.) Mame Paimpol ouvrez.

(La porte s’ouvre brusquement et Périnette, vêtue en meunier et le visage un peu enfariné paraît sur le seuil en se détirant et en bâillant comme quelqu’un qui viens de se réveiller.)

 

 

SCÈNE 3e 

 

PÉRINETTE (en meunier), PAIMPOL.

 

périnette. (avec une grosse voix.) On y va qu’on vous dit. (Bâillant.) Ah !… 

paimpol. (stupéfait.) Un homme ! 

périnette. Eh ! ben, quoi que vous voulez ? 

paimpol. Je veux… je veux… (À part.) Qu’est-ce qu’il faisait chez ma femme ? 

périnette. Mais attendez donc que je vous dévisage… Eh ! oui… je te reconnais… Landurian. 

paimpol. Hein ! 

périnette. Ce brave Landurian, y a-t-il longtemps qu’on ne l’a vu… pardine… pas… depuis que nous avons déjeuné ensemble sur ton bateau le jour où tu partais pour la pêche aux z’harengs… Il y a de ça quelque chose comme quatre ans… 

paimpol. (abasourdi.) Qu’est-ce qu’il dit ?… Qu’est-ce qu’il dit ?… 

périnette. Mais que je te regarde donc mon pauvre Landurian. Sais-tu ben que les voyages ne t’ont pas réussi… Dieu de Dieu es-tu laid et déjeté ! 

paimpol. Merci. 

périnette. Et peut-on savoir ce qui t’amène si matin au moulin ? 

paimpol. Mais… je viens pour parler à ma… à Mme. Paimpol. 

périnette. À ma femme ! 

paimpol. Sa femme !… Votre femme ! Ta… 

périnette. Eh ! ben oui… ma femme… quand tu seras là à me dévisager avec tes gros yeux bêtes… 

paimpol. Bêtes !… Il a dit bêtes !… 

périnette. Voyons… qu’est-ce que tu as ?… Est-ce ainsi qu’on aborde un vieil ami qu’on n’a pas vu depuis quatre ans ?… 

paimpol. Oui… oui… de… depuis quatre ans… 

périnette. Mais je vois ce que c’est… tu m’en veux encore de ce que j’ai refusé d’embarquer avec toi, comme tu me le demandais… Et bien m’en a pris… quatre ans… rester quatre ans loin de ma moitié… Oh ! que non pas…

 

 

COUPLETS

 

I

 

Oui, mon moulin et ma femme

Tatigoi !

Jarmigoi !

Sont, je le proclame,

L’univers pour moi…

À mes yeux, les autres belles

N’ont aucun appas.

Si mon moulin a des ailes

Mon cœur n’en a pas.

 

II

 

Pour chacun mon moulin tourne

Jarmigoi !

Mais, ma foi,

Jamais ne séjourne

Nul galant chez moi…

Mon cœur près de ma compagne

Bat soir et matin

Et son tic tac accompagne

Celui du moulin.

 

 

Ah ! ça, tu avais quelque chose à dire à ma femme… Elle n’est pas encore levée… dégoise-moi la chose, ça sera tout comme… 

paimpol. Ah ! tu crois que ça sera tout comme. 

périnette. Dame ! dans un bon ménage le mari et la femme ça ne fait qu’un. 

paimpol. Oui… certainement… qu’un… mais dis-moi donc, es-tu bien sûr d’être Paimpol, le mari de Périnette… 

périnette. En v’là une bêtise… c’est comme si je te demandais : Es-tu ben sûr d’être Landurian ? 

paimpol. Ça c’est autre chose… mais… 

périnette. Voyons… voyons… tu déjeunes avec moi… nous causerons à table… attends-moi là… j’ vas dire à ma femme qu’elle nous fasse sauter un lapin… tu n’haïs pas le lapin, toi ? (Criant.) Eh ! Périnette ! ma louloute… Lève-toi, c’est Landurian. 

paimpol. (voulant la suivre.) Pourtant, je voudrais… 

périnette. Tu voudrais voir lever ma femme !… par exemple. 

paimpol. Mais… 

périnette. Attends-moi là que je te dis. (Elle entre dans la chambre et lui ferme la porte au nez.)

 

 

SCÈNE 4e 

 

PAIMPOL (seul.)

 

paimpol. En voilà une sévère… Ah ! ça voyons donc, voyons donc… (Il se pince le nez, se tire les cheveux et se donne des coups de poing dans la poitrine.) Je ne dors pas… Je ne rêve pas… Je suis bien Jean-Claude Paimpol, né natif de Châteaulin, meunier de mon état, joueur de biniou le dimanche pour faire danser la jeunesse, marié en légitime mariage à Périnette Trottemenu, fille de Polycarpe Trottemenu, maître d’école, serpent de la paroisse… Et quand je reviens dans mes lares, je les trouve occupés par un intrus qui me flibuste mon nom, mes habits, mon moulin et ma femme !!… Et ma femme !… Allons donc ! Est-ce que c’est possible ?… Car enfin si cet autre est moi… je ne suis plus moi… moi… qu’est-ce que je suis alors ?… Brrr !… mais ça ne se passera pas comme ça. Et d’abord au diable l’épreuve… au diable le déguisement… au diable la bétamorphose… reprenons notre vraie forme… notre vraie chevelure… notre vraie carnation… ces faibles attraits qui avaient pincé jadis le cœur de Périnette. (Tout en parlant, il a ôté sa veste, sa perruque, ses faux favoris, a passé une souquenille qu’il a tirée de son sac et s’est blanchi le visage avec un peu de farine qu’il a été prendre dans un bahut. Ainsi travesti, il doit avoir exactement le même costume que Périnette lorsqu’elle est en homme.) Voilà ce que c’est. Maintenant nous allons voir si ma femme ne me reconnaît-pas pour le vrai Paimpol. 

périnette. (en dehors.) Oui, mon petit homme… Je vas quérir une bonne bouteille derrière les fagots. 

paimpol. La v’là !… Ah ! je suis bien émotionné. Je dois en avoir pâli !…

 

 

SCÈNE 5e 

 

PAIMPOL, PÉRINETTE (en femme).

 

périnette. (entrant.) Eh ! bien, où est-il ce Landurian… Eh ! le v’là. (Riant.) Ah ! ah ! ah ! la drôle de figure… quelle idée qui vous a prise donc M. Landurian de vous attifer avec les habits de mon mari. 

paimpol. De votre mari ? 

périnette. Ah ! mais c’est que vous lui ressemblez quasi comme deux gouttes de lait. Et si je ne savais pas que vous êtes Landurian… Eh ! eh !… 

paimpol. Landurian… Landurian… toujours Landurian… Apprenez madame qu’il n’y a plus de Landurian, il n’y a devans vous qu’un mari mystifié qui vient vous demander une explication. 

périnette. Un mari… et de qui êtes-vous le mari s’il vous plaît ? 

paimpol. Mais de vous apparemment. 

périnette. De moi… Eh ! bien, et Paimpol qui est là-dedans… 

paimpol. Dedans… dedans… peut-être bien qu’il y est en effet dedans, Paimpol. Mais c’est moi qui suis Paimpol. 

périnette. Vous, Mr Landurian. (Riant.) Ah ! ah ! la bonne plaisanterie. 

paimpol. Ah ! c’en est trop !

 

 

DUETTO

 

Un téméraire,

Un insolent,

S’empare en ces lieux de ma femme.

Tremblez, madame,

Dans un instant

Je confondrai cet intrigant.

 

périnette.

Le témeraire !

Et l’insolent !

Il prétend que je suis sa femme,

Mais sur mon âme

Dans un instant

Nous te confondrons, intrigant.

 

paimpol.

Serait-il donc vrai, traitesse,

Tu ne me reconnais pas ?

 

périnette. (à part.)

Si j’en croyais ma tendresse,

Je volerais dans ses bras.

 

paimpol.

Malgré moi quand je t’adore

Pourrais-tu donc me trahir ?

 

périnette. (à part.)

Ah ! je sens que j’aime encore

L’ingrat que je dois punir.

 

paimpol.

Soyons homme… à la volage

Ne pardonnons rien du tout.

 

périnette.

Pardonnons-lui cet outrage,

Soyons femme jusqu’au bout.

 

paimpol.

Il est cruel pour mon âme

De la tourmenter ainsi.

 

périnette.

Il est doux pour une femme

De tourmenter son mari.

 

paimpol.

Bientôt perfide, j’espère,

Va… tu te repentiras.

 

périnette.

Je ris de votre colère,

Mon mari ne vous craint pas.

 

ENSEMBLE

 

périnette.

Le témeraire, etc.

 

paimpol.

Un témeraire, etc.

 

(Périnette rentre dans sa chambre.)

 

 

SCÈNE 6e 

 

PAIMPOL.

 

paimpol. Elle aussi… elle refuse de me reconnaître même sous mes habits… Ah ! c’est indigne… c’est affreux… c’est mesquin… Aussi je serais bien bête de la regretter. Oh ! mon Dieu, je n’y pense déjà plus !… C’est comme si je ne l’avais jamais vue. Je trouve même que l’aventure est très-drôle, très-cocasse… Ah ! ah ! ah !… (Il essaie de rire et ne peut que pleurer.)

 

 

COUPLETS

 

I

 

Ah ! vraiment j’en ris de bon cœur

Et hautement je le proclame :

Il n’est pas de plus grand bonheur

Que d’être privé de sa femme !…

(Essayant de rire et pleurant à chaudes larmes.)

Ah ! ah ! ah ! ah ! Oui, sur ma foi !

Me voilà plus heureux qu’un roi !

 

II

 

À ton bras, odieux rival,

Quand je verrai mon infidèle

En disant : Ça m’est bien égal !

Tout fier je passerai près d’elle…

(Il essaie de rire et sanglote.)

Ah ! ah ! ah ! ah ! Oui, sur ma foi !

Je serai plus heureux qu’un roi !

 

 

Ah ! ah ! ah !… c’est à se tenir les côtes !… Je ris à gorge déployée… Ah ! ah !… j’étouffe… je suffoque… je vas piquer une tête dans la mare aux canards… (Au moment où il va sortir Périnette entre vêtue en homme.)

 

 

SCÈNE 7e 

 

PAIMPOL, PÉRINETTE (en meunier).

 

périnette. Eh ! Landurian, où donc que tu vas comme ça ? 

paimpol. (se retournant.) Encore lui… Ah ! c’te fois, c’est le diable qui me l’envoie pour que je l’extermine… que je l’aplatisse et que je l’égruge…

 

 

DUO

 

périnette.

Mais que m’a donc raconté Périnette ?

Serait-il vrai, pauvre garçon,

Qu’ayant soudain perdu la tête

Tu veuilles prendre et ma femme et mon nom.

 

paimpol.

Ce que t’a dit Madame Périnette

Est véridique, mon garçon…

Et je n’ai pas perdu la tête

En réclamant et ma femme et mon nom.

 

périnette.

Quoi ! Tu serais Paimpol, mari de Périnette ?

 

paimpol.

Eh ! oui, je suis Paimpol, mari de Périnette.

 

périnette.

Quoi ! tout de bon ?

 

paimpol.

Oui, tout de bon.

 

périnette.

Pauvre garçon !

Hélas ! sa folie est complète,

Il veut me prendre et ma femme et mon nom.

 

ENSEMBLE.

 

périnette.

Ah ! comme il enrage !

Faut-il en finir ?

Mais non… du courage,

Je dois le punir.

 

paimpol.

Ah ! comme j’enrage !

Je devrais partir.

Mais non… du courage…

Il faut le punir !

 

paimpol. (se rapprochant de Périnette.)

Pourtant je doute encore.

 

périnette.

Pour vous convaincre, trait pour trait,

De Périnette que j’adore

Je vais vous faire le portrait.

 

paimpol.

Soit, je veux bien.

 

périnette.

 Écoutez-moi.

 

paimpol.

Malgré moi je me meurs d’effroi !

 

périnette.

D’abord ma chère Périnette

A le pied mignon et cambré.

 

paimpol.

C’est vrai.

 

périnette.

 Taille fine et bien faite.

 

paimpol.

C’est vrai.

 

périnette.

 Cheveux d’un blond doré.

 

paimpol.

C’est vrai… mais tout cela pour chacun est visible.

 

périnette.

Que faut-il vous dire de plus ?

 

paimpol. (d’un air malin.)

Quelque secret… si c’est possible.

 

périnette.

Comment ?…

 

paimpol. (triomphant.)

Il hésite… l’intrus !

 

périnette.

Vous le voulez… c’est à merveille !

Sachez que sur l’épaule… ici…

(Elle indique la place.)

Elle a certain grain de groseille…

 

paimpol. (effaré.)

Une groseille !

 

périnette.

Rouge et vermeille.

 

paimpol.

C’est vrai !… Je suis anéanti !…

 

ENSEMBLE.

 

paimpol.

Ah ! comme j’enrage ! etc.

 

périnette.

Ah ! comme il enrage ! etc.

 

paimpol.

Mais jusqu’au bout poussons l’épreuve.

Pour que mon malheur soit certain

Il me faut encore une preuve…

 

périnette.

Parlez…

 

paimpol.

 Le jour de son hymen

Paimpol a fait pour Périnette

Une chanson qu’elle seule entendit.

La savez-vous ?…

 

périnette.

Parbleu ma gentille fauvette

Matin et soir me la redit.

 

paimpol. (allant décrocher un des deux violons et le lui présentant.)

Eh ! bien, sur ce violon

Jouez-le…

 

périnette. (prenant le violon.)

Soit… attention.

(Elle commence l’air; Paimpol stupéfait d’abord, puis furieux, va prendre l’autre violon et achève l’air avec elle.)

 

ENSEMBLE.

 

paimpol.

Je n’en reviens pas,

Oui c’est bien mon air, hélas !

Idée importune !

Ah ! quelle infortune !

Oui, sur ce motif

Elle ouvrit la danse,

C’est bien décisif,

Adieu l’espérance.

Rien n’égale mon tourment,

Je l’aimais si tendrement !

 

périnette.

Il n’en revient pas,

Je ris de son embarras;

Et cette infortune

Ici l’importune.

C’est sur ce motif

Que j’ouvris la danse,

C’est bien décisif,

Il perd l’espérance.

Ah ! je vois à son tourment

Qu’il m’aime encor tendrement !

 

paimpol. (jetant son violon et prenant son bâton.)

Mais c’est trop se jouer de moi

Et maintenant, malheur à toi

Imprudent, téméraire

Crains mon juste courroux !

Oui tu vas, je l’espère

Succomber sous mes coups !

 

périnette. (se moquant de lui.)

Je brave ta menace.

 

paimpol.

Me narguer, quelle audace !

 

périnette.

Avance donc, poltron.

 

paimpol.

Tu trembles…

 

périnette.

 Moi… non… non.

 

REPRISE DE L’ENSEMBLE

 

(Paimpol poursuit Périnette qui échappe et se réfugie dans la chambre de droite. Paimpol ferme la porte à double tour.)

 

 

SCÈNE 8e 

 

PAIMPOL, puis LE GARDE-MOULIN.

 

paimpol. Je le tiens ! Et maintenant appelons Fanfan, le garde-moulin. Il ne me méconnaîtra pas, lui… un enfant que j’ai élevé… pas plus haut que ça… il ne peut pas encore être perverti. (Appelant-en faisant une petite voix.) Fanfan… 

fanfan. (Il accourt. Il est très-grand, a une très-grosse voix et bégaie.) Voi… voi… voi… là. 

paimpol. (étonné.) C’est ça le petit Fanfan ! Pristi ! quel gaillard !… Eh ! bien au fait j’aime mieux ça. Approche ici… et regarde-moi entre les deux yeux… tu me reconnais hein ? Tu es prêt à affirmer que je suis… 

fanfan. (riant bêtement.) Qu’ou… qu’ou… 

paimpol. Comment coucou ? 

fanfan. Qu’ou… qu’oui… qu’oui ! 

paimpol. Ah ! qu’oui… qu’oui. 

fanfan. Vous êtes bien Paim… paim… 

paimpol. Quoi, peint ? 

fanfan. Po… pol… 

paimpol. Ah ! très-bien !… Ah ! ça mais il t’est donc survenu un inconvénient à la langue ? 

fanfan. Je l’ai… je l’ai… 

paimpol. Tu as eu la langue gelée… oh ! la… la… 

fanfan. Non, je… e e… dis… je l’ai eue… eue… eue… 

paimpol. Hue donc ! 

fanfan. Pri… pri… prise… dans l’en… l’en… l’en… 

paimpol. (rageant.) Oh ! qu’il m’agace !… Dans l’en quoi ?… 

fanfan. L’en gre… grenage… du mou… moulin… 

paimpol. Il m’arrive des choses déplorables. Figure-toi mon pauvre ami qu’un imposteur s’est emparé de mon nom, de mon physique, de mes z’hardes… de tout ce qui m’appartient. Il est là… Voilà la clef. Je pourrais le punir… (Avec bonhomie.) mais comme il faut toujours faire à autrui ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fit… tu vas l’assommer. 

fanfan. Bon ! 

paimpol. (lui donnant le bâton.) Mets-toi là, près de cette porte, et quand il paraîtra… attention… (Il ouvre la porte et crie.) Sortez, drôle, sortez, misérable… 

fanfan. Sortez, mi… mi…

 

 

SCÈNE 9e 

 

les mêmes, PÉRINETTE.

 

paimpol. Ma femme !… La perfide était enfermée avec lui. Ne bouge pas, Fanfan, et dès que tu verras sortir de là quelqu’un de tout pareil à moi… je ne te dis que ça… (Il entre vivement dans la chambre et en ressort presque aussitôt en disant :) Personne !… (Fanfan le reçoit à coups de bâton.) Eh ! bien, eh ! bien, imbécile ! ne vois-tu pas que c’est moi. (Il le chasse.) 

périnette. (riant.) Ah ! ah ! ah ! Pauvre Paimpol ! 

paimpol. Elle a dit : Pauvre Paimpol !… Tu m’as donc reconnu ?… 

périnette. Pardieu, nigaud… est-ce que tu ne vois pas que je me suis moquée de toi !… Landurian m’avait tout écrit ! 

paimpol. (à genoux.) Bien vrai ! Ah ! ma petite Périnette, combien je rougis de mes soupçons. 

périnette. (majestueusement.) Allons, relevez-vous, on vous pardonne, mais n’y revenez plus. 

paimpol. Sois tranquille. J’ai été assez puni, et maintenant, allons nous mettre à table, car je meurs de faim. 

périnette. (le retenant.) Un instant…

 

 

ENSEMBLE.

 

paimpol.

Ah ! quelle fête !

Heureux destin !

Ma Périnette,

Plus de chagrin !

 

périnette.

Ah ! quelle fête !

Heureux destin !

Pour Périnette

Plus de chagrin !

 

fanfan.

Ah ! quelle fête !

Heureux destin !

Pour Périnette

Plus de cha… chagrin !